Neuf cent soixante-huit, ce n'est pas un chiffre porte-bonheur, pas
plus que le total des buts inscrits par les Rouge et Blanc dans leur
histoire, mais bien le nombre de jours écoulés depuis la dernière
rencontre officielle de l'équipe nationale de football de Pologne, le 14
octobre 2009 en éliminatoires du Mondial 2010. Vendredi, en dépit de ce
manque de ce manque d'adversité, au Stade national de Varsovie, les
joueurs polonais devront retrouver le goût de la compétition pour
vaincre la Grèce en match d'ouverture de l'Euro 2012. Placée dans le
groupe A, en compagnie de la Russie et de la République tchèque, la
Pologne possède tous les atouts pour atteindre les quarts de finale et
jouer les troubles-fêtes à domicile. Un objectif qui paraît raisonnable,
au vu de ses derniers résultats en matches amicaux, dont des matches
nuls encourageants contre l'Allemagne en septembre (2-2) puis face au
Portugal (0-0) en février.
Malgré un modeste 62e rang au classement FIFA, ce qui lui confère
pourtant sur le papier le statut d'équipe la plus faible parmi les seize
nations engagées, la sélection polonaise espère bien renouer avec un
glorieux passé. Champion olympique en 1972, deux fois troisième d'une
Coupe du monde en 1974 et en 1982, les Lato, Szarmach, Deyna ou Boniek
ont peut-être enfin trouvé leurs dignes successeurs. Et c'est en
provenance du voisin allemand que le souffle du renouveau arrive.
Blaszczykowski, Piszczek et Lewandowski, si ces noms ne vous disent
rien, c'est que vous n'êtes pas assidu à la Bundesliga. Sous les
couleurs du Borussia Dortmund, ces trois joueurs ont remporté deux
titres consécutifs de champion au nez et à la barbe du Bayern Munich, le
traditionnel mastodonte allemand. Et un quatrième larron pourrait bien
les rejoindre en la personne de Rafal Wolski, prometteur milieu de
terrain de 19 ans. Brillant avec son club du Legia Varsovie, il débute
en sélection.
Le réservoir de Dortmund
Auteur d'un magnifique enchaînement – amorti poitrine et reprise de
volée acrobatique – lors de la dernière répétition victorieuse face à
Andorre samedi (4-0), la vedette incontestable de cette équipe se nomme
Robert Lewandowski. Il a inscrit 22 buts lors de l'exercice 2011-2012,
30 toutes compétitions confondues. Le buteur de 23 ans a décroché cette
saison en Allemagne le titre de meilleur joueur de la mi-saison et s'est
classé quatrième, en mai, derrière Marco Reus, son coéquipier japonais
Shinji Kagawa et Franck Ribéry. « En plus du trio de la Ruhr, le
gardien d'Arsenal Szczesny est une valeur sûre. Si l'on ajoute Obraniak
en meneur de jeu, nous possédons une ossature performante », analyse Thadée Fogiel, correspondant à Paris du quotidien sportif Przeglad Sportowy. Mais pour son collègue Maciek Kaliszuk, spécialiste football dans le même journal, le niveau des remplaçants pose question : «
Derrière Lewandowski, les autres attaquants Brozek et Sobiech ont très
peu joué dans leurs clubs (Trabzonspor puis le Celtic Glasgow pour le
premier, Hanovre pour le deuxième) et n'ont marqué que trois buts
chacun. »
Parmi les vingt-trois joueurs sélectionnés par Franciszek Smuda,
seuls six évoluent en Ekstraklasa, la première division polonaise. Et
pas moins de cinq joueurs sont nés ou ont grandi à l'étranger. Outre les
Français Ludovic Obraniak et Damien Perquis, trois joueurs ont émigré
très jeunes en Allemagne dans les valises de leur famille : Sebastian
Boenisch, Eugen Polanski et Adam Matuszczyk. « En dehors de nos
vedettes, un joueur comme Murawski, du Lech Poznan, est expérimenté et
techniquement très fort. Notre équipe est jeune, talentueuse et solide.
Nous sommes performants en contre-attaque et cela va vite devant »,
raconte Damien Perquis, sept sélections depuis l'obtention de la
nationalité polonaise, en août 2011, et qui devrait commencer l'Euro en
défense centrale. Tout juste remis d'une blessure au coude subie en
Ligue 1 avec son club de Sochaux, attendu au tournant de par son statut
de joueur à la double nationalité, Perquis a trouvé un peu de sérénité
en marquant le but de la victoire en amical face à la Slovaquie (1-0).
Ce qui n'empêche pas les interrogations quant à sa légitimité. « Les
défenseurs centraux Wasilewski, d'Anderlecht, et Perquis posent
question. Ce dernier est bon en France, mais on ne connaît pas sa valeur
internationale. Et puis, sa blessure risque de le gêner. Quant au
latéral gauche Sebastian Boenisch, il n'est apparu qu'à quatre reprises
avec le Werder Brême », affirme Maciej Kaliszuk.
Optimisme pour les quarts
Ces interrogations défensives n'ont pas totalement été balayées par
les trois succès d'affilée, sans but encaissé, enregistrés lors des
matches de préparation à cause de l'opposition, somme toute modeste,
(Lettonie, Slovaquie et Andorre). L'optimisme va cependant de pair avec
une qualité de jeu en constante progression et une ambiance au beau
fixe. Le glorieux passé sert encore et toujours de référence, comme si
l'horloge du football polonais était restée bloquée en 1982. « En
1974, l'équipe de Gorski avait perdu en amical contre Stuttgart avant de
terminer sur le podium lors du Mondial. Il ne faut pas tenir compte de
ces matches passables contre la Lettonie ou la Slovaquie. Cela fait plus
de deux ans qu'il n'y a pas de matches officiels, il est dur de se
motiver pour les joueurs de Smuda », rappelle Thadée Fogiel. La
Pologne, disposée en 4-2-3-1, se reposera en grande partie sur un milieu
de terrain très dense, qui constitue « la richesse de l'équipe », selon le journaliste. «
Outre Blaszczykowski et Obraniak, Rybus, qui évolue au Terek Grozny,
est certes méconnu mais a les dents longues. Enfin, Polanski, de
Mayence, a prouvé qu'il méritait sa place pendant les matches amicaux », détaille Thadée Fogiel.
La confiance règne aussi bien chez les anciens que chez les acteurs
actuels. La qualification en quarts de finale apparaît comme le minimum
requis. « On ne pouvait pas demander mieux pour le tirage au sort. Nous devons en profiter »,
lance Zbigniew Boniek, le joueur vedette des années 80. Henri
Kasperczak, latéral gauche polonais dans les années 70, reconverti en
entraîneur en France et en Pologne notamment, exprime le même optimisme :
« Le groupe A est le plus abordable. Toutes les équipes sont prenables. »
La relève ne se cache pas derrière les piètres résultats du passé,
qu'illustre bien l'élimination au premier tour, en 2008, lors du seul
championnat d'Europe disputé par la sélection de l'Aigle blanc.
"Sortir du groupe est l'objectif minimum, mais j'espère que nous serons
capable de faire mieux. C'est rare de pouvoir jouer une telle
compétition dans son propre pays. Cette chance ne se présente qu'une
fois dans la vie d'un joueur", relève Robert Lewandowski. Le
soutien du public, réputé enthousiaste, constituera enfin une donnée non
négligeable. Marek Jozwiak, ancien international polonais et ancien
joueur de Guingamp, n'hésite pas à mettre en avant cet atout. «
Notre public a été élu meilleur public lors de l'Euro 2008. Les
supporteurs de l'équipe nationale ne sont pas les mêmes que ceux du
championnat. Il soutiendra sans faillir la sélection », affirme le directeur sportif du Legia Varsovie.
Smuda en question
Tirage au sort favorable, jeune génération prometteuse, avantage du
terrain, les points positifs ne manquent pas pour considérer avec
optimisme les chances polonaises de progresser dans le tournoi. S'il
fallait trouver un handicap, l'unanimité des critiques se porte sur le
sélectionneur, Franciszek Smuda. Le redoutable contempteur du football
polonais, l'ancien gardien de but des années 70, Jan Tomaszewski, se
montre cruel avec Smuda : « Actuellement, nous avons des joueurs de talent mais il faut un bon entraîneur. A l'évidence, ce n'est pas le cas. » «
Le point faible, pour moi, c'est Smuda. C'est très moyen comme
entraîneur. Il ne sait pas gérer les joueurs. Il est trop autoritaire »,
confirme l'ancien international Piotr Swierszewski, bien connu des
supporteurs bastiais. L'exclusion de trois footballeurs – Boruc,
Zewlakow et Peszko – pour raisons disciplinaires, une inclination forte
à abuser de la bouteille, a en effet fait débat. Inflexible sur ces
trois noms, le sélectionneur, inquiet pour sa défense, a finalement
montré un peu de pragmatisme en rappelant le défenseur Marcin
Wasilewski, banni pour avoir participé à une beuverie et cherché des
ennuis à un chauffeur de taxi en Allemagne. Son comparse de virée, le
milieu de terrain de Cologne Slawomir Peszko a lui été prié de rester à
la maison.
Également sous pression en raison de sa double nationalité allemande,
le sélectionneur polonais devra rester solide pour mener ses protégés
vers les quarts de finale. Vainqueur de seulement treize rencontres sur
les trente-deux disputées sous l'ère Smuda, les Rouge et Blanc sont
dans l'obligation d'améliorer ce ratio, s'ils veulent satisfaire les
attentes de leurs supporteurs.